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Ali Khadaoui : Souvenirs de Kabylie

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En 2006, je me suis rendu en Kabylie pour une intervention sur la question amazighe au Maroc à l’occasion d’un hommage à Mouloud Mammeri.

Pendant plus d’une semaine, j’ai sillonné la grande et la petite Kabylie. J’ai rencontré les kabyles de toutes conditions. J’ai mangé chez les habitants et discuté avec eux. ..

Depuis, la Kabylie ne me quitte pas. La Kabylie m’habite. Et pour cause.

Tout d’abord, cette beauté des paysages changeants, des vallées et pics merveilleux avec leurs cèdres majestueux  qui m’ont tout de suite rappelé mon cher Moyen Atlas.

Mais ce qui m’a coupé le souffle, ce sont les habitants et  cet accent où l’on ressent la  fierté qu’ils ont de parler la langue amazighe, une fierté qui a tendance à disparaître un peu partout. Cela m’a rappelé mon enfance au Moyen Atlas, avant les années de plomb où la fierté  amazighe a été cassée. Après les coups d’Etat et les événements du Moyen Atlas de soixante dix, ordre avait été donné de venir à bout de la fierté amazighe au Moyen Atlas et dans le Rif. Chaque amazigh qui avait affaire aux autorités administratives ou judiciaires devait être humilié et arabisé. «  tkallam lmmak b laârbia », « zawwal errazza »et tant d’insultes et répression qui ont fini par forcer les gens à se mépriser et à faire l’impossible pour apprendre l’arabe dialectal afin d’échapper à la vindicte du makhzen.

Un jour, au tribunal de Khénifra, un sexagénaire à la longue barbe blanche, ancien résistant, se lève pour plaider une affaire banale devant le juge. Il s’appelait Massine et était connu pour sa grande élégance amazighe : burnous noir et djellaba blanche, mais surtout connu pour sa rezza(turban)énorme de plus de 15 mètres. Le juge, dans son rôle makhzenien, demande à Massine d’enlever son turban avant de parler. C’était la première fois de l’histoire des imazighen de cette région que le symbole de tirrugza(la bravoure)et de la fierté était ainsi visé. Massine écarquilla les yeux. Il ne comprit pas. Il insista pour être sûr d’avoir bien entendu l’incroyable insulte. Le juge confirma son ordre.  Massine répondit alors : à vos ordres Monseigneur.

Massine commença par enlever son énorme turban qu’il déposa par terre. Il enleva ensuite le selham(burnous), la djellaba et les déposa à même le sol. Puis il enchaîna machinalement le déshabillement. Quand il commença à enlever le pantalon, la salle resta suspendue au gestes de Massine et  le juge donna alors l’ordre aux sbires d’intervenir.

« Qu’est-ce que vous faites  tonna le juge ? Vous êtes devenu fou ? »

Massine dit alors tranquillement : « Monseigneur, pour nous, imazighen, celui qui est obligé d’enlever son turban n’est plus un homme. Alors autant se dénuder complètement. »

« Un mois de prison pour outrage à magistrat. »

Puis ce sera au tour d’une femme d’être tendue publiquement par le pacha de la ville.

Ces deux scènes cruelles résument à elles seules, les méthodes employées pour casser la fierté amazighe au Maroc de Hassan II.

Déjà sortis meurtris de la confrontation avec l’armée française, imazighen du Moyen Atlas ne tardèrent pas à perdre le peu de  liberté  et de fierté qui leur restaient dans le Maroc « indépendant ». Ils sont devenus alors complètement aplatis, disant « sidi »et baisant la main  à n’importe quel imbécile.

Cet avilisement forcé m’a toujours révolté. Cela m’a toujours fait mal, imazighen, les hommes libres qui ne le sont plus.

Alors quand j’ai vu la Kabylie et ses habitants, je me suis rappelé imazighen du Moyen Atlas avant les années soixante dix : ils étaient aussi dignes et fiers.  Solidaires et heureux. Dès la fin des moissons et des abattages, les fêtes commençaient. Poésie et Ahidous rythmaient alors les jours avec une nombreuse assistance mixte et bon enfant.

Quand j’ai vu les femmes et les hommes de Kabylie, j’ai retrouvé exactement ce qui a vécu chez moi. J’ai ressenti alors un bonheur que je n’ai jamais ressenti depuis que les forces du makhzen un jour de Mars 1973, sont venues casser de l’amazigh au Moyen Atlas. La répression avait duré une année. Avec son lot de morts, de blessés, de disparus, d’emprisonnés, de femmes violées. J’ai été personnellement témoin de ces événements. Je ne puis les oublier. Jamais.

Quand j’ai vu la Kabylie, j’ai parfaitement compris pourquoi ce peuple tient tant à sa liberté, pourquoi ce peuple tient tant à sa fierté, pourquoi ce peuple a tant sacrifié pour rester lui-même.

J’avais alors caressé un moment le désir de mourir en Kabylie. Mais la Kabylie est-elle toujours elle-même ? Je le souhaite de tout cœur.

Pour Kabyle.com

Ali khadaoui - Militant Amazigh - Moyen Atlas Maroc

 

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