En chimie, on désigne par solubilité la capacité maximale de dissolution que possède un corps solide dans un liquide donné. On met par exemple du sucre en poudre dans un verre d’eau : si la moitié du sucre se dissout dans l’eau (l’autre moitié se dépose en bas), on dit que la solubilité du sucre dans l’eau est de 50%. L’eau est alors dite saturée en sucre. Le sucre dissout donne des ions, formés par l’association d’une molécule de sucre et d’une molécule d’eau.
Inspirés ou non par les expériences chimiques, les ultra-conservateurs du gouvernement algérien ont tenté l’expérience suivante : ils ont injecté une dose d’islamisme sous forme solide dans le corps de la Kabylie laïque. Comme en chimie, le but était la dissolution, c'est-à-dire de voir s’associer une molécule d’islamisme (la doctrine) et une molécule kabyle (un individu). Le résultat souhaité était, à l’échelle individuelle la dégénérescence de l’individu touché et la soumission des femmes de sa famille. A échelle collective, ils visaient la création de nouveaux boucs émissaires dans la société –les femmes, les athées-, et pourquoi pas, faire escalader la violence entre islamisés et non-islamisés. Le pouvoir avait en tête l’expérience de la montée de l’islamisme en Algérie-hors-Kabylie lors des années 80-90. Il savait qu’en injectant une dose d’islamisme à l’état brut, une partie de la population kabyle allait l’adopter par effet de solubilité. Toute la question résidait dans la quantification de cette partie. Si l’islamisme, en 91, avait démontré une solubilité de disons 80% à Alger, entre 88 et 91, combien serait la solubilité de cette idéologie fasciste en Kabylie laïque ?
Le pouvoir se mit consciencieusement à l’œuvre pour la réalisation de l’expérience, qui, si elle réussissait, allait être salvatrice pour la poursuite du règne des tyrans. Dés 2001, les autorités se sont attelées à injecter de l’islamisme en Kabylie. Les chiffres rendant compte de ces investissements ne sont pas rendus publics, mais les MAKistes ont souvent répété que la Kabylie renferme aujourd’hui plus de la moitié des mosquées du pays. Equipées de matériel sonore ultra-moderne, offrant des conditions idéales pour le confort (hygiène, eau, chauffage, ventilation), elles font pâlir d’envie toutes les instances d’utilité générale telles que les hôpitaux ou les universités etc.
Il n’est pas ici question de nier un fait : la solubilité de l’islamisme en Kabylie n’a pas été nulle. Nous voyons passer des niqabs, Jilbabs et des frérots avec de longues barbes non entretenues, tous ces spécimens aux antipodes de l’âme laïque et profondément tolérante de la Kabylie. Il y a aussi de nombreux hidjabistes et l’endoctrinement islamiste de la Kabylie depuis 2001 a certainement dû aider à augmenter leur nombre. Dans une ville comme Vgayet, dont la mentalité est quasiment européenne sur d’autres plans, c’est très difficile de trouver un commerce qui serve à l’heure de la prière du vendredi. Et a Vgayet comme à Tizi, ca fait toujours froid dans le dos de croiser ces femmes qui déambulent vêtues toutes de noir, ne laissant voir que les yeux, ramassant la poussière avec leurs longues robes. Le sang des martyrs de la décennie noire, à l’instar de Nabila Djahnine ou Said Tazrouts est encore frais à Tizi. Et ce sont ces fanatiques illuminés qui en endossent l’impardonnable responsabilité. Alors oui c’est vrai, et c’est regrettable, mais on voit bel et bien des représentants de la doctrine islamiste en Kabylie.
Mais constatons-le : ils/elles sont très peu nombreux/ses. Constatons que les mosquées urbaines dernier cris sont sur-dimensionnées : elles ont été conçues pour abriter bien plus d’adeptes que ceux qu’elles arrivent à attirer. Elles sont aussi moins passionnées que prévu : elles ton été conçues pour faire et former des disciples tellement plus agressifs. Et constatons aussi la chose la plus importante, au-delà de tout ca : la Kabylie conserve une âme remarquablement laïque. La cohabitation jeûneurs/non jeûneurs pendant le ramadan en est une importante illustration, mais aussi celle des musulmans et des chrétiens, de athées et des croyants, dans les villes, les villages et même les familles.
Disons ce que nous voyons : la plupart des filles sont habillées à l’européenne. En attendant de réinventer la Kabylité, il faut louer le ciel de ne pas les voir s’habiller à l’afghane. La plupart des mecs préfèrent rester à ne faire absolument rien, un vendredi après-midi plutôt que d’aller donner sa chance au prêche de ldjamou3a. Là encore, sur que ce serait mieux de voir ces jeunes hommes aller cultiver la terre à Ihasnaouène ou nettoyer leur quartier, mais ils en sont peut-être plus proches que s’ils avaient décidé d’opter pour le mode de vie islamiste. Idem pour le rituel du tarawih : malgré la puissance avec laquelle émet la mosquée, c’est dans la rue que la plupart des jeunes hommes passent leur soirée.
Alors chimie alchimie, que s’est-il passé ? L’état a injecté une grande dose d’islamisme brut, depuis 2001. Une décennie plus tard, il peut constater que seule une tout petite fraction s’est dissoute dans le milieu kabyle, convertissant ainsi ses habitants. La majeure partie de l’islamise fanatique s’est déposée au fond du récipient, comme le sucre dans l’eau saturée. Et les autorités se retrouvent avec leurs investissements inefficaces sur les bras. Eh oui, une laïcité séculaire n’est pas facilement ébranlable.
Malheureusement pour nous, l’expérience de solubilité n’a pas été tentée uniquement avec l’islamisme. En parallèle le pouvoir avait aussi lancé une expérience de solubilité alcoolique et celle-ci fut très concluante. Et ce n’est pas un moindre mal : l’efficacité avec laquelle l’alcool s’est dissout dans la société kabyle est très inquiétante. Cette solubilité n’a finalement pas des conséquences bien différentes qu’aurait eues l’islamisation. Elle engendre la résignation populaire et l’abandon du combat pour la dignité.
Le remède ? On ne le répètera jamais assez : Amahil, le travail. Injectons du travail, des efforts, des en Kabylie. Il aura à coup sur une solubilité maximlae dans une région dont les réflexes de survie sont encore palpables, conformément à sa séculaire volonté d’exister.
Samia Ait Tahar
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