Que l’ONU pointe l’Algérie du doigt en ce qui concerne la restriction des libertés artistiques et d’actions culturelles, n’est pas en soi un événement majeur dans la mesure où les décisions des Nations unies ne brillent pas par un impact particulier sur les situations mises en cause. Mais il est inévitable de relever ici une grave régression dans un pays devenu pluraliste depuis plus de vingt ans et qui, aujourd’hui, pourrait figurer dans une black-list pas comme les autres. Celle où l’une des libertés les plus sacrées est menacée, où le mot « censure » revient comme une gifle alors que la tutelle se targue d’une «renaissance » culturelle sans précédent. Le fait que la prochaine réunion du Haut commissariat onusien aux droits de l’Homme puisse très probablement accuser l’Algérie de porter atteinte aux libertés culturelles, est une sorte de confirmation internationale à ce qui se dit ici depuis longtemps. En étendant son contrôle total sur la vie culturelle et artistique, le département de Khalida Toumi et, derrière lui l’Etat algérien, entendaient à la fois se payer une luxueuse vitrine de mécènes amoureux de l’art, et installer une sorte de mécanisme vicieux faisant de la création une chasse gardée, un enclos auquel l’accès n’est permis qu’à ceux qui plébiscitent la politique actuelle.
Il faudra sans doute se souvenir d’une époque antérieure, où deux cauchemars se sont succédé sans transition mais n’ont pu empêcher l’Algérie de produire de la beauté et de la liberté. Il s’agit du « Parti unique » et de la décennie noire. Pour l’une comme pour l’autre, la liberté artistique a su non seulement se préserver grâce à la mobilisation de toute une société, mais aussi repousser l’âge des ténèbres et de l’aliénation que ces deux périodes étaient sur le point d’instaurer dans le pays. Il ne faut pas oublier que c’est durant la « dictature » que le cinéma algérien a arraché une Palme d’or à Cannes, que « Omar Gatlatou » est venu bouleverser les idiomes rigides de nos grands écrans, que la chanson avait atteint les sommets inespérés de la liberté de ton, que le théâtre faisait des merveilles, etc.
Puis, lorsqu’une horde de sauvages hirsutes voulut enterrer l’art et transformer l’Algérie en un camp de concentration, la résistance culturelle n’a pas fléchi, elle en est devenue plus tenace, frôlant parfois le suicide… Mais, dix années plus tard, dans un pays désormais « en paix », démocratique, pluraliste et d’une générosité inédite envers la culture (jamais le budget du ministère n’a atteint une telle hauteur), qu’est-il advenu de la création? Elle est prise en étau entre une censure socioreligieuse encouragée par l’Etat (la disparition des modèles vivants du « nu artistique » des écoles des beaux-arts ; le bannissement de tout langage ou image « inconvenants » des films ; l’aseptisation de la musique, etc.), et une censure économique qui a dangereusement divisé le paysage artistique entre « chouchous » et « personas non gratta ».
L’Etat finance et il considère que c’est là une suprême magnanimité dont nous devrons chanter les louages matin et soir. L’aide à la création ressemble de plus en plus à de l’aumône ou plutôt à des sommes d’argent faramineuses dont un riche homme d’affaires couvre sa belle maîtresse. La culture, disons-le, est devenue une femme entretenue qui ne peut ni se ranger du côté des « filles de joie » ni assumer son indépendance ! Nous reconnaissons cependant à ce système sa désarmante intelligence dans le sens où les mécanismes mis en place pour brider et inféoder la création ont très vite donné leurs fruits : la plupart des artistes savent maintenant que pour travailler, il faut quémander puis se taire ! Les autres sont tout simplement bannis du sérail, réduits à chercher des financements ailleurs afin de préserver leur indépendance, mais surtout dénigrés et sabotés lorsqu’ils espèrent présenter leurs œuvres au public algérien…
Le ministère de la Culture a trop longtemps blacklisté les forces vives du pays. A son tour de l’être par un organisme international dont les « mauvaises notes » ont toujours vexé la vanité des décideurs. Le carton rouge des Nations unies est peut-être inutile d’un point de vue pratique, mais il pourrait au moins déstabiliser cette insolente suffisance dont fait montre le département de Mme Toumi.
S. H.
Source:
Algérienews.info