L’association Asurif de Tizi-Ouzou a célébré en collaboration avec l’association vers le vert de Ait Ouabane la journée internationale de la femme en ce samedi 9 Mars, une journée après la clôture officielle des activités du 8 Mars à la maison de la culture. L’activité s’écrivait dans un objectif double : d’être fortement participative sur le plan de la forme et de soulever des débats véritables sur le plan du fond.
C’est dans une salle comble que la célébration s’est déroulée. Il faut savoir que l’obtention de la salle et de l’accord de la maison de la culture pour l’activité a représenté une véritable bataille. L’année dernière, le 8 mars ressuscitait littéralement la mémoire de Nabila Djahnine, qui n’avait connu aucun hommage depuis l’ignoble assassinat qui est venu mettre un terme à une résistance héroïque de l’ancienne responsable de Tighri n tmettut. Mais cette année, le service de l’animation culturelle était beaucoup plus réticent à nous voir soulever à nouveau la mémoire de Djahnine. Presque 20 ans sont passés depuis son assassinat, et Nabila fait encore peur. On aime mieux ne pas en parler. Après de désagréables entretiens et accrochages avec l’administration de la maison de la culture, parfois à la limite de la mal politesse, nous avons finalement obtenu le feu vert pour le 9 mars.
Cette activité a été dédiée à la mémoire de Nabila Djahnine mais aussi celle de Katia Bengana, et à travers elles, les milliers de femmes médiatisées ou anonymes qui sont tombées en victime de la barbarie islamiste. Notre après-midi fut illuminée par la présence de la famille de Amel Zanoun, jeune étudiante égorgée lors du mois de ramadan il y a 16 ans. Elle avait 22 ans. Les Zanoun sont d’origine kabyle mais étaient installés à Sidi Moussa, une localité touchée très gravement par le terrorisme durant la décennie noire. Le témoignage poignant de la mère a ému l’assemblée au plus haut point. Outre la peine, Khalti Houria exprime sa colère de voir usurper la mémoire des victimes et la souffrance de leur famille par des lois impertinentes sur le pardon. Elle elle désigne directement Bouteflika : « il nous a insultées. Ils nous a traitées de neddabat, de femmes qui se lamentent outrageusement. Il nous a dit : ‘mais il n’y a pas que vous qui avez fait des sacrifices ‘ », dit-elle en référence à celui qui était planqué au moyen-orient pendant que les femmes comme Khalti Houria vivaient l’horreur. Les mots interdits sont sortis, ils font mal mais soulageait presque cette mère profondément blessée malgré le courage dont elle fait preuve et la dignité qu’elle garde. Khalti Houria raconte encore comment elle a du quitter son domicile précipitamment, menacée par les islamistes, pour se réfugier à Alger, dans les hogars d’organisations caritatives. Mais elle raconte aussi, avec énormément de fierté, comment elle a résisté aux ordres des fanatiques. « Ils disaient que les filles devaient se voiler et arrêter d’étudier. Mais mes filles allaient continuer à étudier et grâce à Dieu, elles ont toutes réussi », assure notre témoin. « Mais Amel .. je ne pourrais jamais l’oublier. Jamais. Le plat que j’ai mangé le soir où elle est morte, je ne l’ai plus jamais remangé. Je n’arriverai jamais à croire comment ils l’ont égorgée ce jour-là alors qu’elle faisait ramadan », regrette-t-elle, avant de reprendre le ton combattif : « jamais l’Algérie ne deviendra cette république islamiste. Nous sommes là et nous en faisons le serment ». Le passage de Mme Zanoun sur scène était sans conteste le point culminant de l’activité et l’un des moments les plus forts des activités de culture politique à Tizi. Le public dans la salle exprimait n’avoir jamais rien vu de témoignage aussi direct et aussi émouvant sur la décennie noire.
Le débat aussi, fut vif et interactif. La salle s’est laissé entrainer de façon à la fois décontractée et engagée pour reparler de la décennie noire, mais aussi pour débattre de la condition de la femme en Kabylie. Le ton est fortement monté lorsque Ourida Chouaki, l’une de nos invitées, a affirmé que la condition de la femme kabyle est pire que la condition des femmes dans le reste du pays. S’exprimant par la suite, Ourida a admis avoir émis cette opinion drastique plus pour déclencher des réactions du public qu’autre chose. De suite, des mains se lèvent de partout pour demander la parole.
Ce que nous avons remarqué c’est que l’audience a un besoin thérapeutique de s’exprimer. Les non-dits, les tabous, les frustrations empoisonnent l’âme de notre peuple. Ses déséquilibres, ses tensions et ses maux viennent du fait qu’il ne s’exprime pas. Des forums qui invitent l’individu à l’exprimer, tel que celui-ci, le montre très clairement. Les chemins vers la libération dans notre culture passeront nécessairement par l’ouverture d’espaces où les gens vont s’exorciser, raconter, parler, raisonner à haute voix, pour faire le travail de deuil et d’auto-analyse, qui les empêche de vivre, de rire et de jouir, et par-delà de s’organiser, de travailler et produire. C’est le cas pour la population algérienne, en entier victime psychologique du terrorisme, mais aussi du peuple kabyle qui a aussi vécu sa part de terreur durant la décennie noire. Non seulement de nombreux militants ont été assassinés en Kabylie (Djahnine et Tazrouts par exemple), mais en plus de nombreux endroits fréquentés ont été investi par les terroristes à l’instar de la route de Takhoukht qui longe le barrage et qui dessert beaucoup de localités peuplées comme les Ouadiyas, Boghni, At Yenni, et une partie de Michelet.
Nous sommes ensuite passés au débat sur l’affaire des femmes violées dans le quartier d’el haicha à Hassi Messaoud en 2001, suite à un prêche incendiaire du vendredi à l’encontre de ces femmes pauvres et démunies, sous le prétexte fallacieux qu’elles vivaient seules et sans vigilance masculine. Yasmina Chouaki, notre autre intervenante, raconte ce qu’elle a vu lorsqu’elle est descendue, aussi tôt les faits connus, sur place, pour rencontrer les femmes violentées. Ourida désigne l’affaire comme « pleine de dessous », et en veut pour preuve le fait que le premier réflexe des autorités a été de prendre partie pour l’imam et le protéger. Entre les dizaines de femmes exposées aux violences, elles ne sont plus que 3 à se présenter au procès, rapporte Yasmina, en dénonçant « les pressions psychologiques insensées » à l’égard des victimes. Elle raconte comment il y a eu tentative de récidive en 2010, mais que les victimes ont, elles-mêmes, déconseillé à Yasmina de se rendre sur place : « lorsque vous êtes venues la dernière fois, cela nous a porté préjudice », lui ont-elles avoué. Signalons enfin que l’imam, auteur du prêche condamnateur, n’a pas été inquiété depuis. « Il a du devenir ministre », plaisantait-on dans l’assemblée. Eh oui, l’affaire de Hassi Messaoud est clairement une affaire avec beaucoup de dessous.
Pour faire la lumière sur l’événement, le réalisateur Halim Sahraoui avait pourtant réalisé le reportage intitulé « Lorsque le minaret s’effondre », en collaboration avec Rachda, cette association proche de Khalida Toumi. Selon Halim, « le film se veut très proche de la réalité et recherche l’objectivité autant que faire se peut. L’une de ses conclusions est que les autorités sont fortement mises en cause ». Il poursuit : « Ce n’est pas qu’elles aient directement appuyé l’action, mais il semble qu’elles savaient que quelque chose se préparait ». Nous avons en vain essayé de nous procurer un DVD du documentaire chez Rachda pour le projeter. Le dernier espoir restait celui de l’obtenir par Halim qui nous l’a promis. Malheureusement, la maison de la culture a catégoriquement refusé de projeter le film ont le titre a été jugé tendancieux et facile à interpréter pour le public comme un document anti-islam. « Il n’en n’est rien, répondra Halim à ces accusations. Le titre du film est un proverbe turc et son contenu n’a rien d’anti-religieux ». Dommage, la projection du film a tout de même été annulée sans appel. Du coup, Halim, pourtant invité ne s’est pas déplacé à Tizi : « comment je pourrais venir sans que le film soit projeté ? Ca serait comme demander à un peintre pour parler de ses tableaux sans les ramener », regrette notre réalisateur en promettant que ce n’est que partie remise et que la projection se fera à Tizi.
Il reste que la journée commémorative du 8 mars de l'association Asurif s’est faite à cœur ouvert. Passionnelle, décomomplexée, respectueuse mais franche, cette journée a gagné le pari qu’elle s’était fixé : rendre un peu de son âme à cette journée de sacrifices générationnels, et rendre un hommage digne de ce nom à des battantes comme Katia ou Nabila, qui sont mortes pour que vivent Tidett et Tilelli, la Vérité et la Liberté.
Samia Ait Tahar.